Le bien-être au travail : Paradoxe, leurre ou nouveau contrat social ?

Bien-être

Question 1 – Qu’est-ce que le bien-être ? 

La quête de bien-être devient un phénomène de société. Les grandes librairies ont toutes leur rayon bien-être. Les stages et cours de toute sorte se multiplient. Le bien-être arrive aussi en entreprise… Cours de yoga, relaxation, pleine conscience, voire méditation au travail ! Mais qu’est-ce que le bien-être ? Le bien-être dépend-il avant tout de notre niveau de vie ou est-ce avant tout un simple sentiment ? Le bien-être dépend-il de la culture ?  Et en entreprise, est-ce bien sérieux ou un nouvel « écran de fumé » ? Alors que la pression s’accroit sur la productivité et que les changements ne ralentissent pas, comment ose-t-on parler de bien-être au travail ?  En tout cas, avant d’en parler, il serait important de mieux cerner cette notion. De quoi parle-t-on au juste ? Nous pourrons ensuite peut-être trouver les meilleurs leviers pour le renforcer !

On attribue au « bien-être deux étymologies : « sensation agréable procurée par la satisfaction des besoins du corps et ceux de l’esprit » (1555)  et en 1740 « se dit d’une subsistance aisée et commode. Il a le nécessaire, mais il n’a pas le bien-être ». [1] Le concept  a été remis en avant dans la définition de la santé par l’OMS en juin 1946[2] : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social ». Cette définition fait référence dans le monde contemporain.

Le bien-être renvoie ainsi aujourd’hui à trois principales désignations « physique », « mental », « économique et social ».

  • Le bien-être physique est à la satisfaction des besoins corporels primaires, de tous nos automatismes de vie et de nos instincts de base.
  • Le bien être psychologique serait lié à la satisfaction de nos besoins supérieurs liés à notre vie affective, familiale et aussi professionnelle
  • Le bien être économique et social, renvoie, lui, au plan personnel à la satisfaction de notre « intégration sociale », au niveau attendu par chacun (en psychanalyse, vis-à-vis de « l’idéal du moi »).

 

Au plan collectif, ce niveau de bien-être renvoie aussi à des indicateurs économiques par population. Mais le bien-être économique est-il totalement objectif ? Il est souvent fait référence au « paradoxe d’Easterlin » qui montre aussi sa subjectivité sur ce plan. Ainsi « une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus ». Les explications avancées font notamment appel au « paradoxe de l’abondance ». Nous connaissons tous également l’exemple des malheureux vainqueurs du loto, du déséquilibre de vie et de santé que cela peut générer chez eux.

Le bien être- physique, psychologique ou économique – est « dans notre gamelle » et, dans tous les cas, lié à un ressenti de notre état de santé physique, psychique, social ou « économique », si nous nous comparons à nos pairs ou à notre catégorie sociale.

Le bien-être est t-il culturel ?

Toute l’histoire du bien-être serait aussi « celle de notre rapport au corps, à la nudité, et elle implique des enjeux esthétiques, sociaux et religieux »[3].

De toute évidence, si la représentation du bien-être est personnelle, liée à notre psychologie, elle est aussi « culturelle » et « religieuse ». En France, le concept a tendance à s’opposer à l’idéologie chrétienne traditionnelle. Le bien-être est-il possible sur terre, ou davantage lié à la rédemption de nos « péchés » et dans une vie ultérieure ? La doctrine chrétienne repose pour beaucoup sur le sens donné à la souffrance sur terre, et  l’importance accordée à la culpabilité, la mort étant souvent représentée comme une entrée dans cet « au-delà rédempteur ». Bref le bien-être et le plaisir ne sont-ils pas pour la doctrine chrétienne traditionnelle à rechercher au paradis et le travail davantage lié à la souffrance … ?

Un état de conscience

Le bien-« être » dans la société de consommation apparaît très lié à « l’avoir ». Pour la plupart des personnes gouvernées par leur ego, le bien-être devient alors, comme le bonheur, une sorte de leurre jamais atteint, lié à la possession de biens, d’un niveau de confort et donc, à la consommation. Le bien-être lui-même peut parfois devenir, par effet de mode un nouveau produit à consommer, autant pour atteindre son niveau social que pour son réel équilibre.

Pour les personnes plus conscientes, la sortie pour tout ou partie de l’emprise égotique ouvre la porte à un bien-être plus immatériel. Il peut conduire à toute les formes laïque de « spiritualité sans dieu », y compris dans l’entreprise, comme en témoigne le mindfullness.

Il renvoie à la notion d’équilibre psychique et de conscience. Le bien-être, quelles que soient nos conditions de vie demeure bien un ressenti, expression de nos équilibres psychologiques, de notre niveau de conscience et de notre capacité à gérer nos frustrations.

Et le bien-être au travail ?

Le travail signifie dans notre culture « souffrance ». Le « bien-être au travail » constitue donc pour certains un vrai paradoxe ! Ce n’est pas pour rien que les techniques de bien-être au travail nous viennent d’autres cultures spirituelles, comme avec le mindfullness ou la sophrologie, inspirés du bouddhisme.

Le « mal-être au travail » s’appelle « souffrance au travail ». Il rejoint les nombreuses catégories de risques psychosociaux que connaissent nos concitoyens aujourd’hui, du stress au burn-out, poussés au plan sociétal, par le « désemploi », la pression sur la productivité et les changements permanents.

Notre médecine traditionnelle est peu ouverte à la notion de bien-être. La médecine allopathique « existe » dans son identité profonde, pour soigner et limiter la souffrance, qui est sa véritable raison d’être. Très souvent les médecins du travail ne croient pas au bien-être en entreprise, perçu comme exclusivement manipulatoire.

Notre positionnement sera plus nuancé, entre angélisme naïf ou utopie et diabolisation, n’y a-t-il pas une troisième voie, pour développer le bien-être au travail ?

Des réponses dans nos prochains articles  …

Par Pierre-Marie Burgat

Auteur de Manager avec l’intelligence émotionnelle aux éditions Dunod

[1]  1. 1555 « sensation agréable procurée par la satisfaction des besoins du corps et ceux de l’esprit » (E. Pasquier, Le Monophile, 20a, cité par Vaganay dans R. Et. Rab., t. 9, p. 301); 2. 1740 (Ac. : Bien-être se dit d’une subsistance aisée et commode. Il a le nécessaire, mais il n’a pas le bien-être). Composé de bien* adv. et de être*.

[2] Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948

[3] http://www.culture-sens.fr/pour-se-faire-une-idee/1495/le-bien-etre-est-il-une-notion-contemporaine