Il y aura un « avant » et un « après » COVID en entreprise

Covid-19

Le COVID-19 a plongé le monde du travail dans une crise violente et profonde. Violente par son ampleur, et par les inégalités sociales qu’elle révèle ou qu’elle creuse jour après jour. Profonde, par ses conséquences sanitaires bien sûr, mais aussi économiques et psychologiques, qui continueront à impacter ces prochains mois et sans doute ces prochaines années.

Stimulus et Psya, acteurs de référence en matière de santé psychologique au travail, livrent leurs premières analyses sur cette période au regard des 9000 appels [1]reçus entre le 16 mars et le 23 avril en France, Espagne et Italie.

 

Une crise sanitaire, c’est avant tout la mort qui s’invite dans la sphère professionnelle

Début mars, la peur de la contamination, d’abord diffuse et lointaine lorsqu’elle affectait l’Asie, est soudain devenue plus prégnante. Dès lors, les questions et les incertitudes liées au virus (modes de transmission, immunité, personnes vulnérables) ont été la source de nombreux appels sur nos plateformes de soutien psychologique présentes en France, en Espagne et en Italie. A cette incertitude s’est ajoutée l’angoisse de la mort, puis, avec les premiers décès, cette angoisse est pour certains devenue une réalité tragique.

En touchant de près ou de loin un collègue, un supérieur, un prestataire, la mort a ainsi franchi les frontières de l’entreprise. Elle a progressivement envahi les réseaux sociaux professionnels, et s’est octroyé un droit de cité dans notre quotidien depuis maintenant deux mois.

En Italie, pays européen qui a payé le plus lourd tribut à cette pandémie, les répercussions psychologiques du COVID[2] sont à l’origine de plus de 53% des appels. En France et en Espagne, la proportion est à peine moins importante, avec 46% des appels depuis le début de la crise.

 

Le « travailler ensemble » a volé en éclats

Dans certains secteurs, le télétravail s’est imposé brutalement et massivement. Les managers, les RH ont perdu le contact de proximité avec tout ou partie de leurs équipes. Parallèlement, les efforts se sont concentrés sur la réorganisation, le maintien ou la sauvegarde d’une activité : il n’y a eu d’espace ni pour prendre soin de l’autre, ni pour prendre soin de soi.

Quant aux travailleurs contraints de basculer en activité partielle, ils ont assisté impuissants à la rupture du lien avec leurs collègues. Pour celles et ceux qui ont maintenu des activités sur site, la distanciation sociale s’est imposée. Les pauses déjeuners entre collègues ont été remplacées par un panier repas à son bureau, ou par des rotations dans les salles de pause. Les individus ont dû cohabiter davantage que collaborer. La valeur du collectif n’a pu s’exprimer que dans le sens trouvé dans la production de biens répondant à des enjeux vitaux : confectionner des masques, approvisionner les soignants, produire du gel hydroalcoolique…

 

Les organigrammes ont été balayés par le COVID-19

L’activité partielle et le télétravail doublé de garde d’enfants ont brutalement réduit la disponibilité des effectifs, si bien que les managers ont dû organiser le travail en tenant compte de la diversité des contraintes personnelles.

Le travail s’est désorganisé dans un contexte économique très exigeant, ce qui a été un facteur de stress important. En témoignent les motifs de recours à la ligne de soutien psychologique qui font état des conditions de travail :

  • Le télétravail est synonyme de surcharge de travail, avec des journées qui s’étirent et des conditions difficiles, tant sur le plan matériel qu’humain ;
  • La peur d’être contaminé par le virus lors de ses déplacements professionnels, ou dans le cadre de l’exercice de son activité ;
  • Le sentiment d’impuissance de certains managers qui se demandent comment manager dans ces conditions.

 

Comment répondre à des centaines voire des milliers de collaborateurs désorientés ou inquiets ?

Face à cette vague émotionnelle sans précédent, les cellules médico-sociales des entreprises, les DRH et les chefs d’entreprise se sont vite sentis démunis.

Congés maladie pour garde d’enfants, congés conventionnels pour cause de décès, personne n’était préparé à gérer, non pas une situation individuelle isolée, mais une multitude de situations parfois individuelles mais aussi collectives[3] .

 

Le soutien psychologique et l’accompagnement social sont apparus comme des must-have pour les entreprises.

Pouvoir proposer une écoute 24H/24, 7J/7 aux salariés, les orienter vers des professionnels pour prendre le relais sur des problématiques lourdes qui ne relèvent pas des compétences des RH ou des managers : la crise sanitaire a ainsi confirmé l’utilité et la nécessité des lignes de soutien psychologique à distance et de l’accompagnement social pour les salariés.

Les entreprises déjà équipées de ces dispositifs ont pu orienter rapidement les salariés et leur offrir ainsi une réponse humaine et professionnelle à leur besoin.

Celles qui n’avaient pas souscrit ce type de service ont dû le mettre en place en urgence, et se sont parfois heurtées à la difficulté d’être audibles, alors qu’elles devaient en parallèle communiquer sur l’activité partielle, le télétravail et les consignes sanitaires.

 

Ce précédent marque un tournant dans la manière d’anticiper les crises en entreprise

Avec cette pandémie, nul ne peut maintenant ignorer l’importance d’anticiper et de se préparer à la gestion de crise. Du fait de la mondialisation et de la mobilité des individus à l’échelle de la planète, nous ne sommes pas à l’abri d’un re-confinement ou d’autres épidémies.

Anticiper revient d’abord à identifier et former en interne des acteurs-clés, afin qu’ils soient capables de constituer des cellules de crise, et de mettre en œuvre les procédures de gestion adaptées. L’enjeu est de leur permettre de gérer deux contraintes contradictoires : agir rapidement à la manière d’un sprint, et tenir dans la durée à la manière d’un marathon.

Anticiper c’est également structurer et piloter une politique globale de prévention du risque psychosocial, dont le soutien psychologique ne constitue que l’un des trois volets. Il est en effet essentiel d’adresser les deux autres volets à savoir l’évaluation du risque (prendre la mesure régulière du taux d’hyperstress et du taux de motivation autonome des équipes, surtout en période de confinement puis de déconfinement) et la formation de l’ensemble des collaborateurs afin de les doter de compétences émotionnelles et relationnelles indispensables en cette période.

 

Aurélie Judlin

 

[1] Par appels, on entend appels téléphoniques, tchats, visioconférences, formulaires et rendez-vous téléphoniques

[2] Peur de la maladie, effets du confinement, activité professionnelle à risque …

[3] C’est le cas de certains EPHAD par exemple qui se sont retrouvés démunis pour accompagner leurs équipes.