Comportements au travail : l’art de désapprendre

Chaque année, le monde du travail devient plus exigeant d’un point de vue relationnel et émotionnel. Les enjeux de mutualisation et de coopération sont toujours plus forts, le client est toujours plus présent, les organisations sont toujours plus complexes.

Face à cette nouvelle pénibilité émotionnelle et relationnelle, il devient indispensable de maîtriser toutes sortes de comportements subtils, dont on pouvait se passer auparavant : se faire comprendre à distance, gérer son stress et ses émotions, interagir avec une personne en difficulté, exprimer ses désaccords, demander et recevoir de l’aide, etc…

Un outillage toujours plus abondant

« Donnez-nous des outils ! » est la demande que nous entendons le plus souvent de la part des managers sur ces sujets. Il est très facile de répondre à cette demande, tant la littérature scientifique ou pseudo-scientifique fourmille de techniques codifiées telles que la communication non violente, l’empathie, la prise de recul, la méditation. Toutes ces techniques ont leur utilité pour répondre aux exigences émotionnelles et relationnelles.

« Aidez-nous à progresser ! » est une demande plus rare et surtout bien plus complexe. En effet, l’acquisition seule d’outils et de techniques ne fait jamais progresser. Pourquoi ? Parce qu’une fois qu’on retourne à la vie quotidienne, ces nouvelles réponses vont se heurter à nos vieux automatismes… Et ce sont toujours les vieux automatismes qui gagnent !

Le poids des automatismes

C’est LE problème de base de tout changement comportemental : chaque apprentissage génère une concurrence entre la réponse apprise et des automatismes ancrés. Face à un collaborateur anxieux par exemple, un manager ne réussira à appliquer la réponse apprise « questionner / reformuler », que s’il parvient à résister à son automatisme « donner des conseils » ou « proposer une solution ».

Progresser sur nos compétences émotionnelles et relationnelles, c’est donc avant tout apprendre à inhiber nos automatismes*.

S’entraîner à l’inhibition !

C’est pourquoi l’enjeu principal d’une formation à ces sujets n’est pas tant de découvrir de nouveaux outils que d’apprendre à identifier et à neutraliser nos vieux réflexes. Si elle est utilisée à cette fin, la grande mode de la gamification peut tomber à pic. Le jeu a cette vertu de permettre au participant d’aller vers l’erreur. Faire échouer le participant permet au pédagogue d’introduire le doute, d’analyser la mécanique de l’erreur, de faire prendre conscience de l’inconfort dans lequel nous mettent parfois nos réponses intuitives.

Le jeu permet de revenir de nombreuses fois sur des variantes de la même situation, pour déconstruire avec obstination certains réflexes. De ce point de vue, apprendre doit être inconfortable à certains moments, puisqu’il s’agit de renoncer à ce que l’on sait ou à ce que l’on fait naturellement. À la fin d’une séquence pédagogique, par exemple sur « comment exprimer un refus à une personne d’autorité », l’apprenant doit être en mesure de répondre à ces trois questions : Qu’est-ce que cette séquence m’a appris sur moi ? Qu’est-ce qui a bougé progressivement dans ma manière de faire ? Quels sont les réflexes de pensée ou d’action dont j’ai appris à me méfier ?

En d’autres termes, plus l’enjeu est comportemental, plus apprendre revient à désapprendre. Voilà qui rend l’activité de formation passionnante : désapprendre est l’objectif qui demande, de très loin, la plus grande ingéniosité pédagogique !

 

Jérôme Tougne

*Houdé, O. (2014). Apprendre à résister (Le Pommier)