La France reste fâchée avec la mesure de la santé au travail

Le rapport Lecocq remis ces derniers jours au Premier Ministre ne reprend aucune des propositions visant à évaluer régulièrement l’état de santé au travail des français ou les coûts de la non-santé au travail. Nous ne verrons donc ni observatoire, ni collège d’expertise, ni recherche ou publication sur les données pourtant disponibles de la Sécurité Sociale. C’est une occasion manquée.

On ne peut améliorer que ce qu’on sait bien mesurer

Il est complètement fou qu’en France, la santé au travail ne soit pas l’objet d’un consensus basé sur des bases scientifiques sérieuses, qu’elles soient statistiques, médicales ou psychosociales. Alors que les données et les expertises existent, les deux ministères (Travail et Santé) se refusent à les utiliser. Tant que la France restera fâchée avec l’évaluation, le diagnostic, les chiffres et la mesure, on ne pourra pas produire des politiques publiques efficaces en matière de santé au travail. Le résultat est que -sans indicateurs fiables- nous travaillons sur la base de points de vue et de fantasmes.

La vérité scientifique n’est pas l’ennemie de l’action publique

« J’ai le droit de penser que la Terre est plate, y compris quand des scientifiques m’expliquent qu’elle est ronde ». Dans une époque où chacun construit soi-même son opinion voire sa croyance et se considère aussi légitime que l’expert, faute d’instrument de mesure, nous en sommes à débattre de la prévention ou du soin du burnout sur la base de chiffres fantaisistes. Nous créons des obligations nouvelles en réponse à chaud à l’actualité dramatique (les suicides) et à l’émotion populaire (conflits, stress, harcèlement). Nous prenons des initiatives pour satisfaire des revendications sociales ou en réaction au buzz médiatique. Enfin, nous faisons payer par la collectivité les coûts de la non-santé (arrêts maladie) sans les avoir quantifiés, sans savoir ce qui les a causés, ni comment les prévenir ou les diminuer.

Une occasion manquée

Comme un médecin qui pose un diagnostic avant de suggérer un traitement et rédiger une ordonnance, améliorer la santé au travail nécessite des indicateurs et des faits pour poser un bilan de la situation. En ne saisissant pas cette opportunité, le rapport Lecocq nous prive d’un levier de connaissance pour produire du consensus, et d’un puissant moteur de mobilisation des acteurs. Dommage.

David Mahé