Hyper-croissance en entreprise : comment préserver le bien-être et la motivation au travail des collaborateurs ?

organisation du travail

L’hyper-croissance peut être définie comme un contexte où certains paramètres économiques évoluent très rapidement, par exemple une augmentation annuelle très importante du chiffre d’affaires (à deux, voire à trois chiffres).

Mais cela ne constitue un enjeu pour la santé psychologique au travail que si cela a des incidences majeures sur l'organisation et les conditions de travail : augmentation de la charge de travail pour délivrer, nécessité de recruter à la vitesse de la croissance du chiffre d’affaires, nécessité de structurer très rapidement des processus pour "passer à l'échelle", etc.

En contexte d’hyper-croissance, l'organisation se met alors à « courir derrière le marché », essayant de s'adapter à l'explosion des demandes, des nouvelles exigences, des nouveaux clients, etc. Le bien-être et la motivation des collaborateurs peuvent alors être mis à rude épreuve.

Adrien Fender, manager senior, et Michael Said, manager Stimulus, vous proposent un état des lieux des impacts de l'hyper-croissance en entreprise, et des pistes d'actions pour concilier croissance et épanouissement professionnel et ainsi garantir le succès durable de votre entreprise dans cette période exigeante.

En quoi l'hyper-croissance peut-elle être un problème ?

Une organisation en hyper-croissance est en transformation, mais avec trois particularités :

  1. L’intensité des changements à opérer peut être très forte
  2. Ces changements doivent en général être opérés très rapidement
  3. Les enjeux de changement vont s’enchaîner dans le temps, s’appuyer sur ses acquis à court ou moyen terme peut être difficile

• L'organisation du travail peut alors être impactée

Cela rend très vite obsolète l'organisation du travail des équipes : sous-dimensionnement permanent, nécessité de retravailler régulièrement l'organisation du travail pour passer à l'échelle, etc.

Cela met en tension certaines fonctions de l'entreprise, qui constituent très vite des "goulets d'étranglement" potentiels. Elles peuvent alors empêcher le reste de l'organisation d'absorber sereinement l’explosion de l’activité. En particulier les équipes recrutement, les personnes impliquées dans l'intégration ou la formation des personnes, dans la gestion de certains flux logistiques (approvisionnement, logistique aval, etc.) peuvent "bloquer" ou "ralentir" la dynamique de croissance, voire générer des difficultés à délivrer ce qui est attendu. Cela est souvent dû à un sous-dimensionnement de ces équipes et/ou à des exigences nouvelles qui pèsent sur elles et qu’elles peuvent avoir du mal à digérer en un temps très court. Cela peut, par effet de bord, générer des phénomènes d'étiquetage du reste de l'organisation sur ces équipes, voire sur certaines personnes (« ils nous ralentissent », « on ne peut pas compter sur eux », etc.)

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• Cela peut aussi impacter l'état d'esprit et la santé psychologique des personnes

Le contexte d’hyper-croissance peut donner la sensation de courir derrière un train qu'on ne rattrapera jamais, avec des effets sur l’état d’esprit et la motivation des personnes. En particulier, les collaborateurs peuvent être confrontés au phénomène de tunnel élastique. Cela apparaît lorsque l’on accepte de fournir des efforts particuliers pendant une certaine période (pour absorber une explosion d’activité par exemple), mais que cette période, prévue à l’avance, glisse en permanence. A force de glissements, on peut finir par ne plus croire en la « lumière au bout du tunnel ». Nous n’anticipons plus un horizon d’apaisement. Nous pouvons alors perdre en motivation, en énergie, avoir l’impression de ne plus avoir d’influence sur le cours des choses. Cela peut par conséquent réduire notre capacité d’initiative, voire à terme générer des phénomènes d’épuisement.

Le contexte d'hyper-croissance peut aussi créer individuellement ou collectivement un enthousiasme protecteur, par le plaisir de surfer une vague positive de réussite et par le sens (poursuivre une vision commune de développement, une étoile). Mais cette euphorie peut aussi engendrer une prise de risque supplémentaire et constituer un facteur aggravant de fatigue :

  • Un sentiment de toute puissance qui va faire que l'on ne compte plus ses heures. On peut alors rogner sur nos temps de récupération, on ne sera plus forcément à l’écoute des signaux de fatigue que nous enverra notre corps. On va moins gérer son énergie pour rester performant « dans la durée ». Car « sprinter » quand il s’agit d’une course d’endurance peut nous amener à craquer avant la ligne d’arrivée.
  • La multiplication des enjeux induits par l’explosion des demandes peut générer une culpabilisation, alimentée par le sentiment de ne pas être à la hauteur, et une sensation que le « sable vous glisse entre les doigts »
  • Enfin, lorsque la dynamique est très enthousiasmante, nous pouvons être tenté·es de nous éparpiller sur tous les sujets possibles, pour ne pas perdre d’opportunités d’apprendre, de saisir le moment, de nous positionner, etc. C’est la « peur de rater une occasion » (« Fear Of Missing Out » - FOMO) qui peut alors nous pousser à ne jamais ralentir, et à nous défocaliser pour être présents partout.

Ces trois points de vigilance prennent toute leur importance dans un contexte où l’exigence du système de travail, et donc la charge de travail sont potentiellement elles-aussi en hyper-croissance.

L’hyper-croissance peut aussi perturber l’intégration, les relations, la culture, le rapport au travail

Les évolutions rapides du cadre (règles du jeu, répartition des rôles et responsabilités) et de la composition des équipes peuvent également impacter des composantes très profondes de la personne ou du collectif. En particulier :

  • L’identité professionnelle, parfois mise à mal par l’obsolescence rapide des modes de travail (« le mode de fonctionnement valorisé hier ne fonctionne plus aujourd’hui »), des compétences attendues, des définition de ce qui est bon ou juste (l’« excellence », la « qualité », etc.)
  • La culture d’entreprise, lorsque celle-ci est confrontée à de nouveaux impératifs, peut devoir évoluer, ou des contradictions peuvent apparaitre entre les valeurs revendiquées et les valeurs observées. Le rapport à la qualité, le rapport à l’erreur, les réflexes de solidarité par exemple peuvent être questionnés en contexte d’hyper-croissance. La culture peut être aussi transformée par les intégrations rapides. Un nombre significatif de nouveaux salariés peut faire bouger les lignes du système de valeurs du collectif, parce qu’ils apportent des approches nouvelles, ont d’autres réflexes, par exemple autour de la définition du travail bien fait, de l’engagement, du professionnalisme.

Un effectif qui augmente très vite peut aussi modifier la nature des relations interpersonnelles. Je peux me retrouver entouré de personnes que je n’ai pas encore appris à connaitre, dont la fonction n’est pas toujours bien expliquée et développer un sentiment de déshumanisation dans mon environnement de travail. La taille de l’effectif évoluant et les nouvelles têtes se succédant tellement vite, je n’essaie même plus connaître mes nouveaux collègues. Cela peut générer une forme d’anonymat dans des organisations qui au départ baignaient peut-être dans un esprit « familial ».

Des recrutements massifs peuvent à ce titre créer un effet de promotion qui pourrait être à l’origine de deux tendances :

  • Positives : Renforcer la cohésion entre des pairs issus de la même génération de recrutement, qui vont rencontrer les mêmes situations/difficultés et donc échanger des conseils, du soutien.
  • Négatives : créer un point de rupture culturelle entre les « anciens » (détenteurs de l’identité et des valeurs « initiales ») et les nouveaux qui ne partagent pas forcément la même vision du monde, car n’ont pas les mêmes points de repères, les mêmes exigences, etc.

En contexte d’hyper-croissance, il peut enfin y avoir moins de place accordée à l’émotion au travail, et encore moins à l’émotion négative.

L’hyper-croissance est censée être une bonne nouvelle. Il va alors être plus difficile pour une personne qui exprime des émotions négatives (tristesse, colère, etc.), d’être écoutée, comprise ou d’obtenir de l’aide.

A noter : Il est important de considérer qu’un sentiment d’insécurité autour de notions aussi fondamentales que les valeurs ou l’identité, sera souvent générateur de réponses émotionnelles (principalement peur, colère et tristesse).

Tous ces phénomènes, parce qu’ils impactent la santé psychologique, les relations et les valeurs profondes, peuvent constituer des freins potentiels à l’adhésion au rationnel des changements imposés par l’hyper-croissance.

stress

On peut ne plus se reconnaître dans l’organisation telle qu’elle se transforme, ne plus se sentir à sa place, etc. Mais ils ont aussi la particularité de ne pas forcément s’autoréguler avec le temps. Par exemple :

  • La fatigue des collaborateurs surinvestis peut s’amplifier sans être régulée
  • Les tensions entre générations peuvent s’aggraver
  • La sensation de ne plus faire un travail de qualité peut s’installer durablement et perturber les personnes